Petites critiques à la façon d'une étude comparée, croisée.
J'ai volontairement comparé des auteurs solo (Le Château des
étoiles), en binôme (Frankenstein underground, son supplément graphique explique un peu), ou en équipe (Tao Bang, Infinity 8...).
LE CHÂTEAU DES ÉTOILES d'Alex Alice (Rue de Sèvres)
© Rue de Sèvres, 2014 |
Je précise que ce sera la bédé la plus "jeune public" de cette chronique. C'est clairement sa question du genre et sa maîtrise des couleurs qui m'aura intéressé.
Alors que dire du Château des étoiles, sans vous spolier vos surprises ? Et surtout, sans mettre de petites étoiles d'appréciation toutes relatives ?
Et bien déjà, que la promo mise en place autour de cette série, notamment avec le "journal" contenant les mini-épisodes, n'en est pas une (il s'agit d'une pré-publication), de deux, elle est doublement légitime : pour la première raison du coup, parce qu'une pré-publication s'autolégitime, et aussi parce c'est une bonne série de fantasy qui méritait de se faire remarquer.
Non, ce n'est pas du steampunk, comme on aura pu le lire. Malgré le fait de l'esthétique, qui effectivement rappelle le steam (uchronie, dirigeables, contexte historique...), le scénario s'en démarque facilement, tout simplement en n'utilisant pas de vapeur (steam), mais de l'éther. Cet éther ne faisant pas référence à l'éther médical, mais plutôt au 5e élément des anciens : le Ciel. Ici, il s'agit de l'énergie contenue dans le vide spatial, au-delà de la barre des 30.000 mètres.
L'histoire commence en 1868, à Courrière, avec un détecteur d'éther embarqué dans une montgolfière, puis se poursuit très rapidement en Bavière avec Louis II de Bavière et Bismark, et seulement au 3e volume, en Angleterre. Je précise pour bien signifier le rapport au steampunk pour ceux que ça intéresse. C'est plutôt l'exposition universelle et Jules Verne qui sont au coeur de l'esthétique, on doit donc pouvoir parler de "Merveilleux scientifique" plutôt que de "Steampunk". Mais comme il s'agit d'un code esthétique et non d'un genre narratif, je ne m'y attarderai pas plus que ça 1.
Quelques références sont communes à notre monde : Les Aventures du baron de Münchhausen, Descartes, Newton, Les Chevaliers de la Table Ronde...
L'histoire montre plusieurs intérêts, notamment scientifique et historique. A travers une petite relecture des deux...
Sous son aspect désuet, se cache une espèce de plausibilité scientifique. Car plongés dans l'histoire en compagnie d'ingénieurs et de mécaniciens, nous sommes gentiment abreuvés de données mathématiques et mécaniques, et l'on se prend à rêver, comme le jeune héros, qu'il y ait une flore exotique sous l'atmosphère épaisse de Vénus, et de l'oxygène, toutefois raréfié, sur la surface de Mars.
Si l'influence non pas manga (ce que nombre déteste) mais animé japonais (ce qu'on adore depuis les 80's) se fait sentir dès la rencontre avec Hans, le jeune bavarois au gros nez, au 3e épisode l'influence de Myazaki apparaît plus nettement, car ce n'est plus la seule présence de l'aquarelle ou des personnages enfantins : engins inventifs, personnages féminins forts...
Et c'est ce qui pourra déplaire, d'ailleurs, le côté enfantin. Car les héros sont effectivement trois enfants, plongés dans des intrigues géopolitiques. Mais l'histoire est suffisamment ambitieuse et montre suffisamment d'intérêt pour passer outre une identification "régressive".
Un univers riche, et de bonnes idées.
Je trouve toutefois le 4e album un peu déstabilisant : si les trois premiers albums fonctionnaient dans un imaginaire collectif reposant sur des références connues, nous sommes parachutés en terrain inconnu au quatrième. Mars n'étant pas vraiment une référence du XIXe (John Carter apparaîtra en 1912), on peut avoir le sentiment d'une rupture dans l'univers, et ça pourra paraître plus fluide pour un lectorat moins référencé (le jeune lectorat). Il y aussi que les autochtones de Mars (Martiaux) ne sont pas très bavards, et cela entraîne, selon moi encore, une rupture narrative. Le dessin et l'aquarelle, de leur côté, semblent aussi plus flous et moins détaillés.
L'ensemble reste toutefois original et de qualité. Je ne peux rien dire sur le 5, je ne l'ai pas encore lu.
TAO BANG de Vatine, Pecqueur, Cassegrain et Blanchard (Delcourt)
© Delcourt, 1999 |
Segundo, que le tout est ficelé impeccablement comme une très bonne série (B) à huit mains.
Comme toujours avec les jolies héroïnes, on pourra regarder à deux fois les intentions : et non elles ne sont pas miso. Filles sexy et intelligentes (on a cette chance en BD), variées, fortes et bien campées. Voire même, pour certaines, castratrices. On y trouvera un clan de prostituées, un clan de femmes-pirates, et un autre "clan" dont je vous laisse la surprise.
Le genre/univers : si parfois les spécialistes s'accordent à donner trois époques à l'Héroic fantasy, avec Conan dans la première, le Seigneur des Anneaux en deuze, et Lanfeust dans la troy, je parlerai d'un retour aux sources avec Tao Bang, avec un néolithique revisité (en omettant quelque trouvaille propre à surprendre le lecteur).
Techniquement, si le deuxième épisode est colorisé à l'infographie, la colorimétrie ne dénote pas. Si la différence se voit, les couleurs restent chaudes et contrastées.
C'est cool de retrouver Cassegrain, et qui plus est dans une fantasy inventive. Le personnage du baron, par exemple, est superbe.
AQUABLUE de Cailleteau, Vatine, Blanchard, Tota, Siro, Manchu (Delcourt)
Alors là franchement, si les lecteurs ne sont pas un peu conservateurs, des fois ?
Ou est-ce qu'il ne faudrait jamais toucher aux souvenirs d'enfance ?
J'avais commencé Aquablue il y a bien, bien longtemps... à l'époque de sa sortie je crois. Je me souviens aussi avoir été déçu par le graphisme de Tota, malgré que je n'avais pas suivi la série jusque là (difficile de comprendre des enjeux géopolitiques à dix ans). Déçu comme un enfant à qui on révèle que le Père Noël n'existe pas, que Casimir est un costume, ou que les effets spéciaux des épisodes I, II, III de Star Wars vont être réalisés en synthèse. Que Yoda va faire des saltos. Et en lisant les critiques à gauche à droite, ça m'avait été confirmé. Grave erreur, cependant ! Concernant Aquablue du moins :)
Tout comme dans les séries TV ou ciné, on aime moyen qu'un personnage change d'interprète ou d'apparence (qu'il change de couleur c'est englobé dans la même question normalement). En l'occurrence, qu'une série BD change de dessinateur (pour le coup tous les personnages changent d'apparence ! Ou est-ce plutôt une impression d'abandon ? Bref).
Aussi, il y aura peut-être eu confusion dans la présentation du second cycle (à l'époque les auteurs avaient parlé d'une série parallèle2).
Toutefois, ces cycles sont très bons, et ce serait injuste de les bouder encore. Certes, on pourrait avoir passé l'âge. Mais il faut préciser que les cycles de l’Étoile blanche et des Cynos sont vraiment bien écrits, et que si Vatine a dû partir et voir ailleurs, et bien passée la déception (enfantine) il faut bien admettre qu'au bout du compte, il a bien fait. Jetez donc un œil sur sa prod, ses collabs et son apport à la BD française en général3.
Je ne reviendrai pas sur le premier cycle très réussi, encensé à l'époque et pour cause.
© Delcourt, 1996 |
Commence alors un long flash-back avec un programme en clair : amorcer un nouveau départ (un nouveau cycle) en-dehors de la planète Aquablue (pour mieux y revenir, mais!). Un double retour en arrière, puisque l'histoire de Cybot retrace la découverte de l'épave de l’Étoile blanche, qu'au début du 1er cycle Nao et lui avaient dû quitter dans la précipitation.
(On notera au passage la ressemblance de ce tout premier commencement avec celui de Superman, mais surtout Tarzan...)
Le flash-back prend fin sur un non moins double cliffhanger : alors que l'initiateur du complot retrouve les enfants durant les toutes dernières pages, ceux-ci s'échappent comme par magie. Non franchement faut plussoyer. Un scénario bien ficelé c'est déjà bien, mais là ! Si vous avez l'impression que j'ai spolié, sachez que l'ensemble ne vaut pas le coup que pour son final.
Du point de vue graphique quant à lui, ce prélude peut paraître plus maladroit. Parce que tout bonnement, il peut y avoir un temps d'adaptation pour le dessinateur à reprendre ou commencer une série. Revoyez les toutes premières planches de Vatine comparées à celles du cinquième épisode, ou même celles de Lanfeust, un autre blockbuster. De toutes façons, après quelques pages, le graphisme de Tota prend toute sa superbe dans l'action.
On pourra aussi noter la liberté de ton de ce second cycle, que tout le monde n'aura pas forcément apprécié et qui disparaîtra de la série. Tout comme les deux jeunes protagonistes surdoués qui, au passage, auraient pu / pourraient être fort utiles à la fondation par la suite.
Sur le troisième cycle, c'est le passage aux couleurs numériques qui passe mal. En 2001, on avait bien dix ans de retard sur les states au niveau colo et le résultat rappelle alors les premières années d'Image comics4. Mais on oublie vite et se laisse prendre par le récit mélangeant puits de gravité et chasse aux dinos... Niveau couleurs, le deuxième tome est nettement plus beau.
La suite de la saga, très prochainement :)
INFINITY 8 de Trondheim, Zep, Bertail, Vatine, Vehlmann, Balez, (Rue de Sèvres)
© Rue de Sèvres, 2017 |
Très curieuse, avec une mise en page en gaufrier (la série est référencée Vault of horror, Weird tales... ces bédés US des 50's, sci-fi heroes & cie).
Mais c'est une fois le premier "reboot" passé, qu'on peut pleinement profiter de ce qui est le concept-titre de la série : la boucle temporelle.
Avec le deuxième épisode, on croit tout d'abord être dans une énième histoire de nazis (merci les Aventuriers de l'Arche perdue) mais surprise, c'en sera pas vraiment une. Surprise, sauf pour qui connaît la finesse et la modernité de l'écriture de Trondheim, depuis ses aventures chez le Poisson pilote...
Certains tiqueront peut-être sur la colo très "ordi" (mais enfin qui ça continue à gêner, à part mon pote Gérald ?), mais elle réserve de bonnes surprises, qui plus est le style de Vatine, sur ce second tome, se prête parfaitement au comics. Oui, j'associe comics et colo numérique.
Sur le plan visuel, ce 3e tome est une belle performance d'Olivier Balez (qui mérite bien son nom, donc), avec des couleurs toshopées évoquant les bédés psychédéliques des seventies.
J'en suis resté au troisième, pour l'instant, et j'espère que la série va rester au top sur le scénar, parce que ça fait vraiment plaisir à lire.
Faut-il s'appeler Trondheim pour publier des concepts aussi tarabiscottés, aussi pointus auprès des lecteurs ? Je concluerai sur cette question, si je ne pensais pas tout à coup à Aâma, une autre très belle bande si vous êtes exigeants en SF.
OPEN BAR (1ère tournée) de Fabcaro (Delcourt)
© Delcourt, 2019 |
Dans tous les cas, un très bon Fabcaro. C'est le moment de sortir les petites étoiles, comme j'ai pas grand-chose à dire. 4/5. Du point de vue qualitatif du moins, car sûrement que certains détesteront le second degré. Dans la foulée je peux conseiller On n'est pas là pour réussir, ou son best-seller, Zaï zaï.
Deuxième niveau de difficulté, c'est pas des portes ouvertes qu'il enfonce, et il a un regard pertinent sur l'actualité (ou impertinent, ça dépend sûrement de quel point de vue on se place). Une mention spéciale pour la page 43 (dites-moi donc en comm celle que vous préférez, si vous l'avez déjà lue :).
On peut, à un moment ou deux, ressentir une espèce de facilité, due à la technique, qui pourra rappeler l'oubapo6 de Trondheim, Moins d'un quart de secondes à vivre.
Pas grand-chose à causer sur celui-là. Rire c'est déjà bien suffisant.
FRANKENSTEIN UNDERGROUND de Mignolia, Stenbeck et Stewart (Delcourt)
© Delcourt, 2016 |
Sans doute pas le chef d’œuvre de Mignola (les chefs d’œuvre7, ce concept existe-t'il encore ?), mais une aventure sympa qui sent la balade de villégiature.
Une continuité au mythe de la Créature de Mary Shelley, qui se trouve dès lors faire partie de la continuité d'Hellboy.
Le graphisme de Stenbeck est aussi très beau, très épuré, tout en étant plus "rond" que celui de Mignola.
LA MORT VIVANTE de Vatine et Varanda (Comix buro / Glénat)
© Comix Buro, 2018 |
Un scénario assez horrible, disons-le franchement. Macabre plus précisément. La rencontre de Stefan Wul, Lovecraft et Shelley. Une histoire d'horreur dans un futur lointain ou une anticipation dans une ambiance gothique, selon. Une expérience curieuse où Varanda se la joue Bernie Wrightson, et c'est très réussi.
Les poulpes de Niourk (cf. la série Stefan Wul chez Ankama), le château de Louis II de Bavière, encore, de la télépathie numérique et de l'esprit de ruche.
A mon avis, à lire en noir et blanc ! C'est beau, c'est de l'Art ? C'est neuf ? Oui c'est les deux : du neuvième art, signé Mirlaine.
Merci aux auteurs confirmés de creuser un peu et d'explorer les frontières, de rendre hommage. C'est étonnant d'assister à de pareilles entreprises, et qu'à ce stade les pointures de la bédé se croisent pour brasser des sujets ou des iconographies commun.ne.s.
On voit bien le revival Lovecraftien, mais ce ne sont pas les seuls points communs : Louis II de Bavière, Shelley & Wrightson, et aussi des expériences, des bédés qui sortent des normes.
Bonne lecture :)
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